Lucrèce est une femme, grosse, assez élégante, âgé de 42 ans, et mère de quatre enfants : quatre filles de 14, 12, 10 et 3 ans. Elle travaille comme sage-femme dans un hôpital. Mariée depuis treize ans avec un mari qu’elle connaît depuis vingt ans, elle a eu dès le départ des relations sexuelles difficiles. Depuis la naissance de l’avant-dernière de ses filles, elle est dans un état dépressif chronique, et a pris 20 kilos. Elle dit que ce poids et cet enlaidissement « la protègent des rapports sexuels extrêmement douloureux qu’elle a avec son mari », qui ne la prend pas au sérieux quand elle dit qu’elle a mal, et l’accuse de simuler des douleurs pour éviter des rapports sexuels avec lui. Plus jeune, elle a fait un épisode anorexique, « pour emmerder sa mère ».
Quand je lui demande comment se sont passées ses premières relations sexuelles, elle me répond : « Lesquelles de premières ? »
- Pourquoi, vous avez plusieurs « premières » ?
« Oui », répond-elle en fondant en larmes. Et elle me raconte qu’elle a eu des attouchements sexuels de la part de son père quand elle avait 8 ans, et puis de son oncle paternel qui, lui, l’a déflorée, dans sa chambre d’enfant, quand elle avait 12 ans, pendant que ses parents étaient allés faire des courses au supermarché. C’était une défloration extrêmement douloureuse « qui lui a noué le ventre, tellement je m’étais contractée, tellement j’avais peur. J’avais serré, serré au maximum, pour empêcher la pénétration. Mais ce salaud y est arrivé ! » Elle veut se débarrasser de ses douleurs sexuelles « pour devenir une vraie FEMME ».
Toutes les démarches thérapeutiques qu’elle a tentées avant ont échoué : psychanalyse, gestalt thérapie, kinésithérapie « spécialisée », c’est-à-dire centrée sur le sexe ; sophrologie ; acupuncture. « Toutes ces thérapies n’ont mené à rien et ses douleurs spastiques sont toujours là, répétitives et persistantes. » Une amie à elle, que j’avais eue comme patiente, lui avait conseillé de faire de l’hypnose avec moi. Je lui demande si elle va pouvoir s’engager dans ce travail, ou bien si elle va rajouter l’hypnose à son long palmarès des thérapies qui ont échoué à la guérir. Je pensais à ceux qu’Erickson appelait les « “chasseurs de scalps”, ces personnes dont le but est de faire le tour des thérapeutes pour les mettre en échec ».
Pour travailler avec elle, j’ai utilisé la grille SECCA de Jean Cottraux (2011, p. 113) et, intuition clinique thérapeutique, employé le nœud borroméen de Jacques Lacan (1973).
(S) : la situation :le soir, ou à certains moments pendant le week-end, le fait de devoir faire l’amour et d’avoir des douleurs.
(E) : les émotions : la peur, la culpabilité, la dévalorisation de soi, accompagnées de « pensées automatiques et d’images mentales du type : « je ne suis pas une femme » ; « je ne suis pas normale » ; « je suis salie ».
(C) : les cognitions : elle sait que d’avoir des douleurs est anormal ; elle sait que le vagin peut se dilater ne serait-ce que pour faire passer un bébé ; elle sait que « c’est sans doute lié à son histoire d’inceste ».
(C) : les comportements : elle fuit les rapports sexuels ; prétexte toutes sortes de raisons pour éviter le rapport ; mange beaucoup « pour rendre son corps indésirable ».
(A) : les anticipations : Lucrèce est dans le « schéma anticipatif de l’échec » (Helen Singer Kaplan, 1979). Elle renforce ses douleurs, en en construisant un schéma fonctionnant comme une auto-hypnose : « Ça va faire mal ! », et du coup le corps se crispe, le corps se serre encore plus, le corps se noue davantage.
Quand je lui demande comment se sont passées ses premières relations sexuelles, elle me répond : « Lesquelles de premières ? »
- Pourquoi, vous avez plusieurs « premières » ?
« Oui », répond-elle en fondant en larmes. Et elle me raconte qu’elle a eu des attouchements sexuels de la part de son père quand elle avait 8 ans, et puis de son oncle paternel qui, lui, l’a déflorée, dans sa chambre d’enfant, quand elle avait 12 ans, pendant que ses parents étaient allés faire des courses au supermarché. C’était une défloration extrêmement douloureuse « qui lui a noué le ventre, tellement je m’étais contractée, tellement j’avais peur. J’avais serré, serré au maximum, pour empêcher la pénétration. Mais ce salaud y est arrivé ! » Elle veut se débarrasser de ses douleurs sexuelles « pour devenir une vraie FEMME ».
Toutes les démarches thérapeutiques qu’elle a tentées avant ont échoué : psychanalyse, gestalt thérapie, kinésithérapie « spécialisée », c’est-à-dire centrée sur le sexe ; sophrologie ; acupuncture. « Toutes ces thérapies n’ont mené à rien et ses douleurs spastiques sont toujours là, répétitives et persistantes. » Une amie à elle, que j’avais eue comme patiente, lui avait conseillé de faire de l’hypnose avec moi. Je lui demande si elle va pouvoir s’engager dans ce travail, ou bien si elle va rajouter l’hypnose à son long palmarès des thérapies qui ont échoué à la guérir. Je pensais à ceux qu’Erickson appelait les « “chasseurs de scalps”, ces personnes dont le but est de faire le tour des thérapeutes pour les mettre en échec ».
Pour travailler avec elle, j’ai utilisé la grille SECCA de Jean Cottraux (2011, p. 113) et, intuition clinique thérapeutique, employé le nœud borroméen de Jacques Lacan (1973).
(S) : la situation :le soir, ou à certains moments pendant le week-end, le fait de devoir faire l’amour et d’avoir des douleurs.
(E) : les émotions : la peur, la culpabilité, la dévalorisation de soi, accompagnées de « pensées automatiques et d’images mentales du type : « je ne suis pas une femme » ; « je ne suis pas normale » ; « je suis salie ».
(C) : les cognitions : elle sait que d’avoir des douleurs est anormal ; elle sait que le vagin peut se dilater ne serait-ce que pour faire passer un bébé ; elle sait que « c’est sans doute lié à son histoire d’inceste ».
(C) : les comportements : elle fuit les rapports sexuels ; prétexte toutes sortes de raisons pour éviter le rapport ; mange beaucoup « pour rendre son corps indésirable ».
(A) : les anticipations : Lucrèce est dans le « schéma anticipatif de l’échec » (Helen Singer Kaplan, 1979). Elle renforce ses douleurs, en en construisant un schéma fonctionnant comme une auto-hypnose : « Ça va faire mal ! », et du coup le corps se crispe, le corps se serre encore plus, le corps se noue davantage.
C’est à ce moment que j’ai utilisé, au cours d’une séance, le nœud borroméen de Jacques Lacan.
Le nœud borroméen est emprunté aux armoiries des ducs de Borromeo du nord de l’Italie, où il figure sur leur blason. Il s’agit de trois nœuds inter noués, de telle manière que si on défait l’un des nœuds, les deux autres sont libérés automatiquement. Par contre, si on tire sur deux des trois, le troisième fait blocage.
Lacan a utilisé ce nœud pour « représenter les quatre registres » du Symbolique, de l’Imaginaire, du Réel et de la réalité perceptive externe qui se situe à l’intersection des trois cercles. Ce nœud est utilisé pour maintenir le mât des bateaux à voiles, ou bien, comme quand j’étais scout, pour tenir le mât aux couleurs quand on est en pleine nature.
Après lui avoir dessiné sur une feuille, en couleurs, le schéma du nœud borroméen, et lui en avoir nommé chacune des parties, je réalise sous ses yeux, avec mes trois bouts de corde de couleurs différentes, le nœud dans la réalité perceptive externe euclidienne. Je mets à l’intersection de ce nœud un stabilo de couleur et lui indique : « Ceci représente votre vaginisme. Il est au centre du Symbolique, de l’Imaginaire et du Réel. » Je lui demande de tirer sur deux des nœuds de manière centrifuge, cependant que je tiens le troisième, et lui fais remarquer que plus on tire sur les bouts, et plus le stabilo est tenu, serré, fermement au centre. Et j’accompagne mon discours, en même temps, en serrant mon poing très fort, tout en orientant le sommet de ma main fermée vers elle pour lui montrer mon index replié sur lui-même, exsangue, sous la pression de mon pouce. A ce moment-là, elle me dit en une explosion vocale : « J’ai tout compris ! J’ai compris mon problème ! » Et dans un flot de paroles ininterrompues et difficiles à arrêter, elle dénoue ses problèmes avec une lucidité touchante.
Le soir même, elle pouvait avoir un rapport sexuel non douloureux avec son mari.
Comment expliquer un tel dénouage ? Et aussi rapide ?
Nous resterons prudents dans nos hypothèses de travail.
Tout d’abord, nous pouvons dire qu’à titre de métaphore, le serrage du nœud peut avoir fait lien avec l’activité motrice du serrage du vagin.
Nous pouvons avancer aussi le fait que de demander à notre patiente de tirer musculairement sur les cordes est un acte paradoxal dans la mesure où : a) elle est obligée d’écarter les bras vers l’extérieur alors que son mouvement musculaire vaginal est centripète ; b) mais, en même temps, elle voit que son action enserre très fortement le stabilo, qui est au milieu, et qui peut symboliser un pénis en érection.
Cette action et ses conséquences traduisent bien la dissociation mentale que peut vivre Lucrèce, écartelée entre un « je ne veux plus avoir mal » (réponse cognitive corticale) et la réalité des contractions vaginiques (réponse diencéphalique du système limbique).
De plus, dans le fait de voir un nœud dans la réalité perceptive externe, [ – expression à laquelle je rajoute « euclidienne » –, pour bien préciser que nous sommes dans une réalité « contrôlable par tous, avec les mêmes critères d’évaluation, de vérité et de justice » (Perroux (F), 1968, p. 27), c’est-à-dire une réalité qui est mesurable en longueur, largeur, hauteur, ce qui donne les surfaces et les volumes. ] a sans doute permis à Lucrèce de faire des liens entre son histoire et son problème actuel.
Le nœud borroméen est emprunté aux armoiries des ducs de Borromeo du nord de l’Italie, où il figure sur leur blason. Il s’agit de trois nœuds inter noués, de telle manière que si on défait l’un des nœuds, les deux autres sont libérés automatiquement. Par contre, si on tire sur deux des trois, le troisième fait blocage.
Lacan a utilisé ce nœud pour « représenter les quatre registres » du Symbolique, de l’Imaginaire, du Réel et de la réalité perceptive externe qui se situe à l’intersection des trois cercles. Ce nœud est utilisé pour maintenir le mât des bateaux à voiles, ou bien, comme quand j’étais scout, pour tenir le mât aux couleurs quand on est en pleine nature.
Après lui avoir dessiné sur une feuille, en couleurs, le schéma du nœud borroméen, et lui en avoir nommé chacune des parties, je réalise sous ses yeux, avec mes trois bouts de corde de couleurs différentes, le nœud dans la réalité perceptive externe euclidienne. Je mets à l’intersection de ce nœud un stabilo de couleur et lui indique : « Ceci représente votre vaginisme. Il est au centre du Symbolique, de l’Imaginaire et du Réel. » Je lui demande de tirer sur deux des nœuds de manière centrifuge, cependant que je tiens le troisième, et lui fais remarquer que plus on tire sur les bouts, et plus le stabilo est tenu, serré, fermement au centre. Et j’accompagne mon discours, en même temps, en serrant mon poing très fort, tout en orientant le sommet de ma main fermée vers elle pour lui montrer mon index replié sur lui-même, exsangue, sous la pression de mon pouce. A ce moment-là, elle me dit en une explosion vocale : « J’ai tout compris ! J’ai compris mon problème ! » Et dans un flot de paroles ininterrompues et difficiles à arrêter, elle dénoue ses problèmes avec une lucidité touchante.
Le soir même, elle pouvait avoir un rapport sexuel non douloureux avec son mari.
Comment expliquer un tel dénouage ? Et aussi rapide ?
Nous resterons prudents dans nos hypothèses de travail.
Tout d’abord, nous pouvons dire qu’à titre de métaphore, le serrage du nœud peut avoir fait lien avec l’activité motrice du serrage du vagin.
Nous pouvons avancer aussi le fait que de demander à notre patiente de tirer musculairement sur les cordes est un acte paradoxal dans la mesure où : a) elle est obligée d’écarter les bras vers l’extérieur alors que son mouvement musculaire vaginal est centripète ; b) mais, en même temps, elle voit que son action enserre très fortement le stabilo, qui est au milieu, et qui peut symboliser un pénis en érection.
Cette action et ses conséquences traduisent bien la dissociation mentale que peut vivre Lucrèce, écartelée entre un « je ne veux plus avoir mal » (réponse cognitive corticale) et la réalité des contractions vaginiques (réponse diencéphalique du système limbique).
De plus, dans le fait de voir un nœud dans la réalité perceptive externe, [ – expression à laquelle je rajoute « euclidienne » –, pour bien préciser que nous sommes dans une réalité « contrôlable par tous, avec les mêmes critères d’évaluation, de vérité et de justice » (Perroux (F), 1968, p. 27), c’est-à-dire une réalité qui est mesurable en longueur, largeur, hauteur, ce qui donne les surfaces et les volumes. ] a sans doute permis à Lucrèce de faire des liens entre son histoire et son problème actuel.
Cet exercice a fait écho à ses Signifiants utilisés de manière répétitive, dans la sémantique du nœud, au double sens, de sexe et d’enlacement d’éléments attachés : « noué le ventre » « serré, serré ». Lacan disait que dans toute démarche thérapeutique, il y avait trois temps, auxquels il rajoutera plus tard un quatrième : « Le temps pour voir, le temps pour comprendre, le temps pour décider. » (1945, pp. 208-209)
« Le temps pour voir » est le temps de la prise de conscience de la répétition du symptôme. « Le temps pour comprendre » est le moment où la personne par une démarche d’introspection formative, en faisant un travail sur elle-même, va, dans un insight, saisir le pourquoi elle avait besoin de répéter ce problème. Enfin, « le temps pour décider », c’est, après avoir compris ce qu’on a vu, le moment de prendre la décision de ne plus répéter le symptôme. La personne n’a plus besoin de se faire représenter par le symptôme porte-parole de l’Inconscient. Le refoulement est levé. Plus tard, Lacan introduira « le temps de la jouissance du symptôme », c’est-à-dire ce moment où, bien que la personne ait compris ce qu’elle a vu, elle va continuer à répéter le symptôme et à en jouir, à en tirer profit, plaisir et agrément. Mais chaque fois que le symptôme se reproduira, elle ne pourra plus éviter le sens découvert précédemment. « J’ouis sens », dira alors Lacan.
Nous pouvons reconstruire la chaîne signifiante de Lucrèce, depuis ses premiers attouchements et sa première pénétration douloureuse, qui ont laissé une trace mnésique importante liant « comme le recto et le verso d’une feuille » cette douleur physique aux Signifiants « serré » et « noué ». Dans chaque nouveau rapport sexuel est réactivée la scène inaugurale traumatique. Se tissent alors, progressivement, des ligatures entre le Symbolique et l’Imaginaire.
Un peu comme dans le travail de l’EMDR, où le mouvement des yeux permet de dissoudre l’émotion liée au problème, ici le fait d’avoir mobilisé la musculature du corps à un autre endroit que le sexe, opère un « déplacement thérapeutique ». Dans son insight, elle fait la découverte de ce qui faisait sens entre son Imaginaire (« elle est salie pour l’éternité ; elle ne pourra jamais être une vraie femme ») et le Symbolique qui se répète à chaque nouveau rapport sexuel (son mari étant le spectre de son père et de son oncle amalgamés). Pour elle, le passé et le présent n’étaient non seulement pas dissociés, mais encore renforcés par une sorte de conditionnement à chaque nouveau rapport sexuel.
La rapidité de la disparition du problème recouvre pour moi une grande part de mystère. Mais elle illustre bien ce qu’a pu montrer Freud sur les mécanismes de défense du Moi, et les blocages qu’ils installent dans le fonctionnement psychique. Dès que le mécanisme de défense du Moi est déjoué, le problème n’a plus lieu de demeurer… sauf si le Sujet s’installe dans « le temps de la jouissance du symptôme ».
En conclusion, ce que nous avons voulu montrer dans cet article, c’est comment peut se dénouer un problème, à partir du moment où des connexions opèrent, à partir de la réalité perceptive externe euclidienne, entre le Symbolique, l’Imaginaire, le Réel, quand on mobilise de manière active le corps en liaison avec les Signifiants liés à l’Histoire du Sujet.
Joël de MARTINO
Docteur en Psychologie sociale clinique Sexothérapeute Hypnothérapeute Clinicien en Thérapie comportementale et cognitive
Bibliographie
- COTTRAUX (J.) 2011 « Les Psychothérapies comportementales et cognitives » Paris, Elsevier Masson (5e édition revue et augmentée).
- LACAN (J.) 1945 « Le Temps logique et l’assertion de certitude anticipée. Un nouveau sophisme », in « Ecrits », Paris, Seuil, 1966, pp. 197-213. 1973 « Le Séminaire, livre XXI « Les non-dupes errent » (Séminaire non encore publié sous la plume de Jacques-Alain Miller).
- PERROUX (F.) 1968 « Introduction à l’œuvre complète de Karl Marx » in « Economie 1 », Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléïade.
- ROSSI (E. L.)
1993 « Psychologie de la guérison. Influence de l’esprit sur le corps », Marseille, coll. Hommes et perspectives, Trad. Bernot (J.-C.) et Meylan-Pernet (C.)
- SINGER KAPLAN (H.) 1979 « La Nouvelle thérapie sexuelle », Paris, Buchet-Chastel, trad. préfacée et dirigée par le Dr Meignant (M.), et Frenac (C.)
(Rossi (E.L.) 1993, passim)
« Le temps pour voir » est le temps de la prise de conscience de la répétition du symptôme. « Le temps pour comprendre » est le moment où la personne par une démarche d’introspection formative, en faisant un travail sur elle-même, va, dans un insight, saisir le pourquoi elle avait besoin de répéter ce problème. Enfin, « le temps pour décider », c’est, après avoir compris ce qu’on a vu, le moment de prendre la décision de ne plus répéter le symptôme. La personne n’a plus besoin de se faire représenter par le symptôme porte-parole de l’Inconscient. Le refoulement est levé. Plus tard, Lacan introduira « le temps de la jouissance du symptôme », c’est-à-dire ce moment où, bien que la personne ait compris ce qu’elle a vu, elle va continuer à répéter le symptôme et à en jouir, à en tirer profit, plaisir et agrément. Mais chaque fois que le symptôme se reproduira, elle ne pourra plus éviter le sens découvert précédemment. « J’ouis sens », dira alors Lacan.
Nous pouvons reconstruire la chaîne signifiante de Lucrèce, depuis ses premiers attouchements et sa première pénétration douloureuse, qui ont laissé une trace mnésique importante liant « comme le recto et le verso d’une feuille » cette douleur physique aux Signifiants « serré » et « noué ». Dans chaque nouveau rapport sexuel est réactivée la scène inaugurale traumatique. Se tissent alors, progressivement, des ligatures entre le Symbolique et l’Imaginaire.
Un peu comme dans le travail de l’EMDR, où le mouvement des yeux permet de dissoudre l’émotion liée au problème, ici le fait d’avoir mobilisé la musculature du corps à un autre endroit que le sexe, opère un « déplacement thérapeutique ». Dans son insight, elle fait la découverte de ce qui faisait sens entre son Imaginaire (« elle est salie pour l’éternité ; elle ne pourra jamais être une vraie femme ») et le Symbolique qui se répète à chaque nouveau rapport sexuel (son mari étant le spectre de son père et de son oncle amalgamés). Pour elle, le passé et le présent n’étaient non seulement pas dissociés, mais encore renforcés par une sorte de conditionnement à chaque nouveau rapport sexuel.
La rapidité de la disparition du problème recouvre pour moi une grande part de mystère. Mais elle illustre bien ce qu’a pu montrer Freud sur les mécanismes de défense du Moi, et les blocages qu’ils installent dans le fonctionnement psychique. Dès que le mécanisme de défense du Moi est déjoué, le problème n’a plus lieu de demeurer… sauf si le Sujet s’installe dans « le temps de la jouissance du symptôme ».
En conclusion, ce que nous avons voulu montrer dans cet article, c’est comment peut se dénouer un problème, à partir du moment où des connexions opèrent, à partir de la réalité perceptive externe euclidienne, entre le Symbolique, l’Imaginaire, le Réel, quand on mobilise de manière active le corps en liaison avec les Signifiants liés à l’Histoire du Sujet.
Joël de MARTINO
Docteur en Psychologie sociale clinique Sexothérapeute Hypnothérapeute Clinicien en Thérapie comportementale et cognitive
Bibliographie
- COTTRAUX (J.) 2011 « Les Psychothérapies comportementales et cognitives » Paris, Elsevier Masson (5e édition revue et augmentée).
- LACAN (J.) 1945 « Le Temps logique et l’assertion de certitude anticipée. Un nouveau sophisme », in « Ecrits », Paris, Seuil, 1966, pp. 197-213. 1973 « Le Séminaire, livre XXI « Les non-dupes errent » (Séminaire non encore publié sous la plume de Jacques-Alain Miller).
- PERROUX (F.) 1968 « Introduction à l’œuvre complète de Karl Marx » in « Economie 1 », Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléïade.
- ROSSI (E. L.)
1993 « Psychologie de la guérison. Influence de l’esprit sur le corps », Marseille, coll. Hommes et perspectives, Trad. Bernot (J.-C.) et Meylan-Pernet (C.)
- SINGER KAPLAN (H.) 1979 « La Nouvelle thérapie sexuelle », Paris, Buchet-Chastel, trad. préfacée et dirigée par le Dr Meignant (M.), et Frenac (C.)
(Rossi (E.L.) 1993, passim)