Soignez votre image ! Trouver les bonnes voies de traitement psychocorporel.



Par Josy Ghedighian


Intruse, clandestine, cette image s’incruste dans votre regard et ne s’exprime qu’en trop, plus, moins, pas assez… Elle s’insinue jusque dans vos rendez-vous les plus intimes pour venir parasiter, avec ses critiques, l’accueil d’un regard, d’un compliment et même d’une caresse. Mais qui est donc cette figure polymorphe qui ne s’exprime qu’en jugements et comparaisons ? D’où sort-elle pour être aussi habile à semer le doute sur les perceptions que vous avez de vous-même ?

Insidieuse ou violente, elle est capable d’interrompre vos ébats, de freiner vos élans, de gommer vos sensations et même de noyer dans une critique toxique tout espoir de vous aimer un jour. Son étude révèle qu’il est aussi difficile de la nommer que de cerner ses « agir ». Vous avez pu lire ou entendre ces termes plutôt abstraits tels : schéma corporel, image du corps, voire même image inconsciente du corps, moi corporel, etc., et remarquer que fréquemment les auteurs les utilisaient alternativement, sans vraiment les distinguer.

Dans un premier temps, il sera donc nécessaire de rechercher un minimum de repères dans les divers travaux qui se sont attachés à définir à partir de quelles expériences nous pouvons acquérir une conscience imagée de notre corps, celle que nous croyons voir dans le miroir, par surprise ou avec un regard appuyé, et celle que nous imaginons que les autres perçoivent. Cela participera à la compréhension de ce qui fausse plus ou moins gravement l’objectivité de notre perception. Des exemples saisis sur le vif, des paroles prononcées et des comportements réactifs dessineront les profils des souffrances et pathologies induites, lesquelles orienteront à leur tour notre regard dans une direction plus adéquate : celle des choix thérapeutiques.

Les interrogations sur la nature de l’expérience qui permet d’accéder à une conscience et à une représentation du corps datent, pour les travaux les plus anciens, de 1935 ! Paul Schilder a particulièrement étudié le fait qu’après une amputation de la main ou du pied, par exemple, des sensations tactiles et kinesthésiques, et même des images visuelles de la partie amputée, pouvaient perdurer. La sensation de pouvoir mouvoir ce qui a été désigné par le terme de membre fantôme nous démontre la force avec laquelle le modèle postural du corps peut s’inscrire en nous. Schilder avait observé que, plus une partie du schéma corporel est mobile et visible dans une action dirigée et concertée sur le monde extérieur, plus elle sera imprimée dans la mémoire… aux risques d’en fausser le rappel.

La très grande relativité d’une possible objectivité des représentations que nous pouvons avoir de notre corps n’a fait qu’être confirmée au fur et à mesure que le développement des neurosciences en enrichissait la connaissance.

Cette connaissance qu’Antonio Damasio rend très accessible ne vient pas conforter notre ego, au contraire elle souligne notre vulnérabilité et dépendance à l’égard de l’image que nous pouvons avoir de nous-même.

Notre image est en perpétuelle construction et remaniement. Elle subit l’impact permanent de nos interactions avec l’environnement (familial, social, etc.). L’essentiel de cette construction et son remodelage s’opère en dehors de la conscience. La majeure partie du temps, elle reste inconsciente, mais dès qu’un événement, un signe en lien avec son contenu mobilise la conscience, ses références s’imbriquent immédiatement dans celles du moment.

Par exemple, une personne fera l’éloge de votre jeunesse et vous risquerez d’entendre « je suis encore la petite dernière », car les émotions associées aux images mémorisées sont déterminantes dans la puissance de leur impact.

En bref, l’esprit est étroitement façonné par le corps. Dans l’idéal, la liberté d’agir, de jouer, de bouger, des encouragements, une joie sincère face aux efforts sont autant de facteurs qui permettent à un enfant de vivre confortablement son schéma corporel. C’est aussi un viatique qui lui permettra de résister aux inévitables attaques et dérisions en conservant une image de son corps plutôt agréable, gage d’aisance et de réactivité.

Les blessures de l’image du corps et leur séquelles

Malheureusement, un autre membre fantôme est trop souvent hébergé plus ou moins ostensiblement dans les familles. Il se prénomme Narcisse. C’est un tyran que votre identité indiffère, ce qu’il impose comme une loi ce sont des critères d’évaluation esthétique, des codes de langage, de gestuelle, d’habillement, etc. Il évalue : la taille, le poids, le volume, les proportions, la démarche, la force, l’habileté ; tout risque un jour de passer sous son scalpel et son porte-parole jugera : votre nez, vos seins, vos fesses, la longueur de votre pénis, votre langage… Il blessera votre image à grand renfort de rire, de rejet, voire de complicité et c’est toute la famille qui s’amusera à vous appeler « Chieculotte ».

Votre image corporelle deviendra vulnérable et les divers lieux de confrontation sociale ne feront que la fragiliser davantage. Les séquelles des blessures sont variables et peuvent se cumuler. La honte domine, la maladresse l’accompagne, les sentiments de rejet, de laideur font partie des effets secondaires. Plus les blessures sont profondes, plus grave est l’altération de la conscience du corps. L’image du corps peut être dénaturée au point de rendre anorexique, méconnaissable à grand renfort de chirurgie esthétique, et induire des comportements sexuels à risque consécutifs à une impossibilité de se croire désirable. Cette liste est loin d’être exhaustive !

Les pathologies de l’image du corps et leur incidence sur la sexualité

Pour certaines personnes, la conscience du corps reste une notion abstraite et celle d’image du corps est encore plus inconnue. Ce « blanc » présente alors le risque d’être à la source de différentes formes d’inhibitions et de troubles du désir. Par exemple, cet homme est un trentenaire qui souffre de n’être qu’un gentil confident incapable d’exprimer son désir. Voici ce qu’il dit : « Jusqu’à 16 ans, c’est ma mère qui choisissait mes vêtements, maintenant mes copines me disent que je suis mignon mais que je ne sais pas m’habiller. C’est quoi tous ces trucs auxquels elles voudraient que je m’intéresse ? De toute façon, je me déteste ! » L’absence de conscience de son corps peut également conduire à des dépendances qui, à leur tour, auront un effet négatif sur le désir du ou de la partenaire. Elle dira notamment : « Le matin, il me demande toujours comment il doit s’habiller et après il s’étonne qu’il ne m’excite pas ! »

Une partie du corps peut également occuper tout le champ de l’image et faire obstacle à l’idée même qu’une sexualité soit possible. Cet homme a plus de 35 ans, il vit de manière très solitaire, obsédé par le fait que son érection présente une courbure vers la gauche. Sa sensation d’anormalité inhibe jusqu’à l’éventualité qu’il puisse consulter un médecin, lequel diagnostiquerait vraisemblablement une maladie de Lapeyronie.
Sans aller jusqu’à cette extrémité, une longueur du pénis perçue comme insuffisante a conduit un homme de plus de 40 ans à être un expert des préliminaires. Cela le console du fait qu’il se sent incapable d’envisager la pénétration, alors même qu’il prend secrètement du viagra.

Lorsque la pensée domine l’esprit, elle écarte les sensations pour favoriser les images visuelles et les jugements qui seront le plus souvent négatifs. Ces déconsidérations peuvent surgir de manière impromptue et figer immédiatement toute capacité à se laisser vivre des sensations de plaisir, voire même à rester en contact avec ce que l’on éprouve. Ce parasitage risque d’intervenir à n’importe quel moment de la relation sexuelle. Voici un exemple que décrit une jeune femme de 42 ans : elle ne perçoit pas consciemment que les changements de position trop fréquents au cours de la relation sexuelle ne sont pas en accord avec son propre rythme, c’est une pensée négative qui se substitue à ce qu’elle éprouve et elle se dit : « Je suis trop petite alors il s’imagine qu’il peut faire de moi ce qu’il veut ! » Or, comme précisément elle entend encore sa mère lui dire : « tu choisis toujours des hommes trop grands », elle s’enferme dans son amertume en essayant de donner le change car en plus elle est persuadée d’être frigide. Ce type de processus constitue une véritable clôture sur soi et se répète avec des variantes aussi longtemps qu’il est impossible d’accorder un minimum de respect à ce qui est éprouvé et qui permettrait de dire tout simplement : « Non, ça je n’aime pas. »

Le trouble du contact avec l’image du corps devient encore plus dommageable quand la perversion, narcissique ou pas, est une composante de la relation. Une image du corps dégradée est une porte ouverte aux risques d’humiliation que le ou la partenaire pervers(e) franchit allègrement car il ne trouve en face de lui ou d’elle qu’un être vulnérable aux jugements et déconsidérations. Il est facile de glisser insidieusement : « Une nana comme toi, non je dirais plutôt une femme… une femme d’un certain âge », le jour de l’anniversaire des 40 ans de sa compagne !

Tout comme il sera relativement aisé d’imposer des situations sexuelles non consenties à un être qui perd de plus en plus le contact avec ses désirs et sensations en affirmant d’un ton péremptoire : « Tout le monde fait cela ! » Cette personne, très déprimée, peinera à dire lors d’une consultation : « Je me sens ridicule, je n’ose pas dire que je n’en peux plus de tous ces partenaires qu’il m’impose, mais j’ai peur de le perdre. » Dans la situation que je viens d’évoquer, les fantasmes du partenaire dominent la personne sous emprise et le risque d’une perte de lien avec elle-même la met en danger. Avant tout autre questionnement, la relation empathique du sexologue avec ce qu’elle relate de sa vie sexuelle doit être le témoin de la légitimité de ce qu’elle ressent ; en l’occurrence, dans son cas il s’agit du dégoût que son partenaire classe dans ses innombrables inhibitions. Son dégoût a besoin d’être validé car c’est une émotion et nos émotions sont incontournables. La première phase, la plus fondamentale pour que cette personne puisse renouer avec une émotion authentique d’elle-même, consiste en une lutte contre le clivage qui la livre sans réactions instinctuelles aux interprétations. L’analyse des causes et origines de sa situation ne peut intervenir que dans un second temps.

Il est encore un trouble qui mérite d’être étudié même s’il est plutôt rarement évoqué. Les préoccupations mentales qui parasitent les ébats font obstacle au surgissement des fantasmes érotiques, or ils sont un moteur de l’excitation. Les personnes dont le patrimoine fantasmatique est ainsi séquestré ont tendance à considérer cela comme un fait, voire comme un univers inconnu auquel elles se sentent incapables d’avoir accès, quand elles ne le rejettent pas tout simplement en le confondant avec la pornographie.


Pour lire la suite

Dossier : “La prostitution“
“Prostitution intra-familiale. Famille banale ou banale maltraitance ? Anne-Catherine PERNOT-MASSON
Que nous raconte la prostitution sur le sexe et l'amour ? La prostitution comme excitant imaginaire. Patrick WIRTZ
Quand l'argent brûle les doigts... Et que le corps monnayé devient un "plus". Elsa FAYNER
Qu'est- ce que vend le ou la prostitué(e) ? Prostitution et dignité. Robert NEUBURGER
Du réfrigérateur à la cocotte... Ou quel singulier visage de la prostitution. Géraldine FRANZETTI
Comportements sexuels des prostituées : pratiques, prévention et soins. Que nous dit actuellement le regard de "ESPACE P belge" ? Cécile CHERONT
Du plus "petit" au plus "grand": sublimation d’infirmité par le nu. Clothilde LALANNE
Prostituées et courtisanes dans la Venise de la Renaissance. Des canaux aux tableaux. Dimitri STAUSS
Autres sujets :
Santé sexuelle et prévention. Les consultations d’écoute et sexualité, les dimensions de la séropositivité au VIH. Thierry TROUSSIER et Catherine TOURETTE-TURGIS
L’ocytocine, hormone de l’attachement ? Des idées reçues sur la sexualité sous couvert de science. David SIMARD
Du soma au psyché, approche du vaginisme par une kinésithérapeute. Alice GOSCHIN
Rubriques :
SEXOMEDIAS : de l’art ou du cochon ? Dominique DERAITA
EDUCATION SEXUELLE : Madame, comment on sait qu’on est amoureux ? Catherine LEBOULLENGER
HISTOIRE DE LA SEXUALITE : Jansénisme et sexualité. Pierre André BIZIEN :
ART LITTERATURE : Quand le diable s’invite dans l’art lyrique… Michel FEBVRE :
UNESCO : chaire de santé sexuelle et droits humains. Thierry TROUSSIER et Alain GIAMI
CINEMA : La perversité dans les films de François Ozon. Jean Gérald VEYRAT

Sexothérapie, Praticienne en Hypnose Thérapeutique, Thérapeute EMDR IMO à Paris, Assistante de… En savoir plus sur cet auteur
Rédigé le Samedi 16 Décembre 2023 à 21:30 | Lu 318 fois
Dans la même rubrique :