Le fil rouge de l'inconscient : L’approche psychodynamique face aux troubles de la sexualité humaine.



Dans l’enseignement du DIU de Sexologie et de Sexualité humaine de la Faculté de Paris 13-Bobigny, l’approche psychodynamique se caractérise par la prise en compte de la dimension de l’inconscient tant du côté du patient (demande, désir, symptôme), que du côté du soignant (la question du transfert et contre-transfert). Ce choix s’est défini et étayé à partir de nos expériences de cliniciens.
Par Jean-Marie SZTALRYD pour la Revue Sexualités Humaines.


Cette contribution tournera aujourd’hui autour de la question du désir et de sa polysémie en trois grands points :
1- Je décrirai le contexte, les conditions sociales et normatives dans lesquels s’inscrit le désir.
2- J’évoquerai quelques éléments théoriques concernant le désir.
3- J’illustrerai cette question du désir avec quelques vignettes cliniques.

Le contexte
Aujourd’hui, dans notre culture, désir, plaisir et performances sexuelles se déclinent à l’impératif. Cela crée une nouvelle revendication : droit au désir et droit au plaisir. Notre modernité se croit à l’apogée d’une liberté sexuelle qu’aucune culture n’aurait jamais pu connaître.
On constate pourtant, tout au long de l’histoire, des périodes d’alternance entre liberté et répression de la sexualité. Mais ainsi va l’histoire : d’utopies en désillusions, d’avancées en régressions, de liberté en répression, et ce sur une toile de fond toujours la même : la conquête des pouvoirs économiques, politiques, religieux, scientifiques, sexuels à n’importe quel prix.

C’est une combinaison atomique qui produit le pire et le meilleur, le pire ou le meilleur.
Cette dynamique produit l’histoire et le révisionnisme, les dictatures et les révolutions, l’être et son néant, le savoir et sa perversion. La période historique, récente, des années 1970 à aujourd’hui, est du côté de la liberté et de l’impératif au désir et au plaisir. En parallèle, on découvre depuis dix ans des statistiques affolantes : augmentation des viols, des viols sur mineurs, des incestes, des femmes battues et des femmes tuées, du harcèlement sexuel et de la pédophilie. Même s’il ne s’agit que d’une plus grande visibilité de ces phénomènes (augmentation des plaintes et relais médiatique), le jugement porté sur ces faits évolue. La liberté sexuelle trouve sa limite aujourd’hui aux frontières de l’inceste et de la pédophilie. Les réquisitoires récents (Outreau) n’ont rien à voir avec les opinions d’hier (la Lolita de Nabokov, ou Gabriel Matzneff, invité régulièrement chez Pivot pour ses amours décomposés).

La question qui se repose à chaque fois est celle de nos repères symboliques. Il s’agit de poser le débat au-delà de la simplification manichéenne : permissivité sans frontières ou retour à un moralisme précambrien. En fait, il s’agirait d’arrêter de parler de sexe pour ne rien dire ou pour faire de l’audimat (tous médias confondus). Cependant, on ne peut faire que ce constat : le sexe, le désir et l’impératif de plaisir sont devenus la toile de fond de notre imagerie quotidienne. Ainsi, si l’on est défaillant, impuissant, non-désirant, éjaculateur précoce ou sans plaisir, il y a un quasi-devoir d’ingérence promu par la médicalisation dominante et l’industrie pharmaceutique qui préconisent la chasse aux sexualités boiteuses, incitant les médecins généralistes à systématiquement poser des questions voire enquêter sur la sexualité de leurs consultants.

Nous pouvons donc nous demander si nous sommes en paix avec nos plaisirs, nos désirs, et leurs avatars. Notre époque est bavarde, mais nous confronte brutalement à un paradoxe insoluble entre permissivité affichée et répression politico-sociale.
Ainsi : la volonté abolitionniste de la prostitution, la loi Sarkozy sur le racolage, l’anti-pornographie militante, l’opposition au mariage homosexuel, la volonté de réduire la violence à la télévision au prétexte qu’elle serait responsable de nombreux passages à l’acte.
On observe un retour à la tentation moralisatrice. A ne plus penser le désir et la sexualité, le choix devient le tout permis ou le tout interdit alors qu’il s’agit de repenser la sexualité et d’en questionner les limites. La sexualité s’intrique au pouvoir et au politique, Foucault nous l’a appris. De fait, la résistance au pouvoir peut créer des espaces nouveaux pour déconstruire et questionner ce à quoi répondent les rapports de sexe, le désir, l’usage des plaisirs et les bénéfices secondaires de la répression dans notre société.

La question du consentement
En toile de fond de toutes ces réflexions, se pose la question de la norme avec ce point de capiton que représente le concept de consentement. Il mérite notre attention dans la mesure ou c’est un concept frontière utilisé par tous les théoriciens pour marquer la limite entre l’autorisé et l’interdit. Consentement vient du latin « consensus », l’accord, l’acquiescement à quelque chose. Il est difficile d’en définir les contours et les enjeux ; il a parfois l’allure moralisante, réductionniste et molle du plus petit dénominateur commun. Parfois, il touche au sacré. Le consentement implique le lien social. Vivre ensemble implique l’accord des humains autour de certaines règles. En fait, cet accord ne se produit jamais dans une communauté sans que soit désigné un objet contre lequel cet accord se réalise. « Le consensus, écrit le sociologue André Akoun, implique toujours une relation d’exclusion et de mort comme condition du lien érotique. » (Nous avons comme exemple célèbre le mythe freudien du père de la horde.) De fait, la fraternité ne s’organise que par déplacement de l’agressivité des membres du groupe sur un bouc émissaire. Les boucs émissaires actuels sont les minorités : prostitués, transsexuels, gays, lesbiennes, sadomasochistes, mais aussi les impuissants, les frigides, les sans-désir fixe… Derrière tous ces rapports de sexe, on trouve des questions, des interprétations, des revendications différentes quant à la façon dont le sexe se traduit en genre et s’articule ou pas à la sexualité, au désir et au plaisir.

Désir… plaisir
Au-delà donc des discours simplificateurs, posons avec Freud le désir et le plaisir en principe et examinons, interrogeons les possibles.
Je présenterai donc maintenant une remarque, deux définitions du désir et trois sources : une freudienne, une platonicienne et une étymologique.

La sexualité humaine qui n’est jamais simple nous conduit donc à la question du désir. Pourquoi ? Par ce que c’est à la fois une réalité biologique, génétique, procréatrice, nécessitant une satisfaction ; elle est dépendante de l’histoire sociale et culturelle des valeurs, des idées, qui infléchissent normes et habitudes sexuelles à l’insu des individus. La psychanalyse nous a appris que la sexualité humaine est une histoire individuelle. C’est en fait parce que les hommes sont structurés, construits par le langage qu’ils peuvent donner une signification à leurs pulsions sexuelles en les traduisant en termes de désir.

Dans le dictionnaire, on trouve deux grandes définitions du désir :
« C’est la prise de conscience d’une tendance particulière qui porte à vouloir obtenir un objet connu ou imaginé. »
Dans cette définition, on a le désir en creux du côté de la tendance, c’est-à-dire la force qui pousse un sujet à vouloir quelque chose.

Le mot désir s’oppose donc au mot vouloir qui désigne un mouvement libre de la personnalité auquel on se détermine d’une manière réfléchie. Désirer indique un entraînement fatal et passionné que l’on subit. Cet entraînement fatal et passionné est du côté de l’inconscient, du côté du désir inconscient.

La deuxième définition, c’est « une tendance consciente aux plaisirs charnels ».
Cette définition implique donc les désirs charnels, sensuels, sexuels, voluptueux, physiques ; ces désirs pouvant être stimulés, augmentés, exagérés, assouvis mais aussi insatisfaits, impossibles, absents. Et nous sommes là dans la palette de ce dont s’occupent les thérapeutes s’intéressant à la sexualité.
On retrouve dans cette définition le mot tendance qui implique a minima les notions de mouvement et d’énergie .

- Freud a unifié sous le concept de libido, de désir, tout ce qui appartient au registre de l’énergie psychique de la pulsion sexuelle, c’est-à-dire une grandeur quantitative, quoique non mesurable, dont la répartition et les déplacements devraient permettre d’expliquer la parution des phénomènes psychiques ou psycho-sexuels. Le désir est de même nature chez l’homme et chez la femme.
- Lacan ajoute la dimension du désir liée à un manque qui ne peut être comblé par aucun objet réel.Cette thèse trouve sa source dans le mythe platonicien de l’Androgyne.
- Platon nous propose donc dans Le Banquet ce mythe de l’Androgyne, être à la fois homme et femme trouvant en lui-même le bonheur. Ces êtres immortels imaginés sphériques formaient une totalité, sans nécessité de désir et de parole car étant l’unité et la complétude parfaites. Ils furent un jour divisés en un homme et une femme et, depuis, le désir c’est la recherche de cet autre qui manque afin de retrouver l’unité perdue.

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Dossier : “Les nouveaux outils psychothérapiques en sexologie“
Thérapie des schémas, Pleine Conscience, EMDR, psychologie biologique, approche psychodynamique… Quand l’outil est là, il prend sa juste place en sexologie, pour les bonnes indications, dans la bonne mesure, s’appuyant toujours sur la compétence du praticien et sur sa capacité à évaluer et à accompagner son patient. Sans dogme ni chapelle. Avec une distance critique dans son utilisation, un espace libre, celui de la création, de l’invention, de la surprise…

Ce n°13 de la revue Sexualités Humaines présente quelques uns de ces nouveaux outils psychothérapiques utilisés en sexologie par des praticiens expérimentés qui illustrent leurs textes de nombreux exemples cliniques.

Jean-Marie Sztalryd : “Le fil rouge de l’inconscient. L’approche psychodynamique face aux troubles de la sexualité humaine “.
Firouzeh Mehran : “Thérapie des schémas et sexualité. L’influence des schémas précoces inadaptées dans les dysfonctionnements sexuels“.
Serge Wunsch : “Tout peut-il provoquer des troubles sexuels ? L’importance des croyances à la lumière de la psychologie biologique et des neurosciences“.
Lionel Strub : “La pleine conscience ou l’équilibre sexuel retrouvé. Un renouveau dans la prise en charge sexothérapique“.
Steven Reichenbach : “L’EMDR dans la prise en charge d’une baisse du désir sexuel associée à une baisse de la rigidité lors de l’érection“

Autres sujet de ce n°13 : Michèle Fauchery : “Lendemain de fête, pilule du lendemain ?“
Esther Hirch : “Dyspareunie et vaginisme“
Michel Mommaert : “Toy’s story. Un nouveau pas vers l’équité ?“
Dominique Deraita : “Assistance sexuelle aux handicapés : prostitution ou acte paramédical ?“
Catherine Leboullenger : “L’excision, si on en parlait ?“
Pierre-André Bizien : “Le contournement libidinal sous l’Ancien Régime“
Michel Febvre :“Femme fatale… dans l’Opéra“

Sexothérapie, Praticienne en Hypnose Thérapeutique, Thérapeute EMDR IMO à Paris, Assistante de… En savoir plus sur cet auteur
Rédigé le Samedi 16 Décembre 2023 à 21:31 | Lu 671 fois
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