La psycho-sexologie « appliquée » Une perspective intégrative.



Deux praticiens psychologues sexologues nous font part, à partir de leur expérience et de leur réflexion, d’une ébauche de méthode à dimension psychopédagogique visant trois objectifs : la responsabilisation conjugale personnelle, le développement de l’intelligence émotionnelle conjugale et le développement de l’intelligence sexuelle.
Par Yvon Dallaire et Iv Psalti


La sexologie, science relativement jeune, s’est grandement enrichie au cours des vingt-cinq dernières années. D’une approche strictement médicale axée sur la biologie et l’étude des perversions et le traitement des difficultés sexuelles, la sexologie a rapidement étendue ses ramifications à des domaines aussi vastes que la psychologie, la sociologie, la criminologie, l’épidémiologie, l’anthropologie, l’histoire et les neurosciences. Plus récemment, elle se préoccupe de plus en plus de santé sexuelle, d’épanouissement sexuel et d’érotisme, tant au plan individuel que conjugal.

Définition
La sexologie, comme son nom l’indique, est l’étude de la sexualité dans ses différentes dimensions. Etymologiquement, le terme signifie : discours (logos) sur le sexe (sexus). La sexologie, c’est la science de la sexualité tant humaine qu’animale, même si l’accent est mis sur la sexualité humaine.

Historique
Les précurseurs de cette science ont pour nom Ellis, Krafft-Ebing, Freud, lesquels se sont plutôt penchés sur les troubles de la vie sexuelle. L’approche scientifique de la sexualité humaine a été abordée pour la première fois par l’entomologiste américain Alfred Kinsey qui publia deux importantes études sur le comportement sexuel de l’homme (1948) et de la femme (1953). La sexologie devint une science avec Masters et Johnson. Pendant dix ans, ils observèrent, en laboratoire, les réactions physiologiques à une excitation sexuelle efficace de femmes et d’hommes. Leur ouvrage, Les Réactions sexuelles, connaît dès sa parution en 1966 un réel succès international. Ces auteurs placent le vécu corporel au plan de la communication érogène du couple. Ce dernier devient, par conséquent, l’interlocuteur privilégié. Ils inventent le sensate focus, outil de traitement des dysfonctions sexuelles utilisé encore maintenant par la majorité des sexologues de par le monde. Grâce à eux, la sexologie s’est constituée en une science structurée.

Actuellement, si l’on se fie à tout ce qui s’écrit sur le sujet et aux nombreuses associations qui naissent dans différents pays, la sexologie a le vent en poupe. D’où la nécessité d’un encadrement éthique et d’une législation pour protéger le public car le titre de sexologue n’est pas encore réglementé dans de nombreux pays.

Méthodologie
Au-delà des multiples méthodes scientifiques utilisées pour mieux connaître le comportement sexuel, on pourrait qualifier la méthode sexologique de pluridisciplinaire, d’interdisciplinaire pour ne pas dire transdisciplinaire. En ce sens que la sexologie cherche à « réunir et intégrer dans une analyse et une réflexion commune toutes les données des différentes sciences (et elles sont nombreuses) qui abordent chacune un aspect limité de la sexualité ».

Toutefois, la sexologie ne se contente pas d’un simple cumul de données développées par ces différents corps de connaissance : elle cherche surtout à réfléchir sur l’ensemble des informations accumulées afin de mieux comprendre le comportement sexuel, de mieux l’enseigner et de mieux le traiter lorsque nécessaire.

Un exemple de réflexion sexologique qui a fait évoluer la compréhension du comportement sexué se trouve dans le fait que nous parlons maintenant de « variations sexuelles » plutôt que de perversions ou de déviations sexuelles. La sexologie s’est ainsi éloignée de ses origines médicales toujours à la recherche de pathologies pour en arriver à stimuler une attitude plus compréhensive de comportements sexuels qui varient de la norme sans pour autant être « anormaux ». Ce qui constitue un progrès certain.

La sexologie, une profession à part entière ?
La sexologie ne s’est toutefois pas encore totalement extirpée de ses racines médico-pathologiques si l’on se fie au fait que la majorité des intervenants en sexologie sont encore des médecins. Cette situation est particulièrement vérifiable en France. Heureusement, de nombreux efforts sont faits pour que la sexologie devienne une profession à part entière, au même titre que toutes les autres professions des sciences humaines et des sciences de la santé.

Deux exemples récents illustrent cette démarche. L’AIHUS (Association inter-hospitalière universitaire de sexologie) s’est donnée une nouvelle identité en AIUS (Association interdisciplinaire postuniversitaire de sexologie). L’AIHUS acceptait déjà des non-médecins comme membres, mais cette nouvelle dénomination consacre l’aspect multidisciplinaire de la sexologie. Et au Québec, une demande formelle auprès de l’Office des professions du gouvernement québécois a été déposée afin de créer l’Ordre des sexologues du Québec (OSQ). Pour le moment, pour tous les pays de la francophonie, n’existent que des associations de sexologues.

Il faut dire que le Québec fait figure de pionnier dans la reconnaissance de la profession de sexologue avec la création du premier département de sexologie à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) en 1969, programme universitaire s’adressant à des non-médecins afin de former des sexologues éducateurs au premier cycle et des thérapeutes sexuels au deuxième cycle. Aujourd’hui, le titre de sexologue a bonne réputation au Québec et plusieurs des professionnels formés travaillent non seulement en éducation, mais aussi dans des domaines aussi variés que la sexothérapie, la prévention, la recherche et la sensibilisation par l’intermédiaire des différents médias. D’ailleurs, feu Jean-Yves Desjardins et de nombreux autres professeurs sexologues de l’UQAM ont essaimé en Europe pour le développement de cet enseignement et de cette profession. De nombreux sexologues européens y ont aussi été formés.

Comme toute profession naissante, différentes conceptions se multiplient, tout en se complétant, et s’opposent, en nuançant les différents points de vue : des « écoles naissent ».

L’école sexocorporelle
Le psychologue-sexologue Jean-Yves Desjardins fut l’un des premiers à mettre de l’avant le concept de « santé sexuelle ». Ils ont ainsi développé une approche globale intégrant le corps, le mental et les émotions, approche qu’ils ont nommée sexocorporelle. On pourrait aussi dire intégrant le sexe, le cœur et l’esprit.

La sexologue Nicole Audette, formée à cette approche, précise que : « Cette démarche thérapeutique se base sur les lignes de force et le potentiel de chaque individu pour amorcer des changements essentiels en vue d’un mieux-être sexuel et amoureux, en y intégrant des habiletés sexocorporelles. »

L’approche sexocorporelle, après avoir effectué une évaluation sexoclinique, vise à établir un diagnostic afin d’élaborer une stratégie thérapeutique. Quoique cette façon de faire est un copier-coller du modus operandi médical, elle s’en distingue par le fait qu’elle met l’accent sur les habiletés à acquérir, individuellement et conjugalement, afin d’atteindre une vie sexuelle et amoureuse plus satisfaisante.

Les habiletés à développer sont, comme le nom de l’approche l’indique, basées sur le corps : la respiration ventrale, la bascule du bassin et la coordination respiration-mouvements du bassin. Ces habiletés bioénergétiques se sont évidemment inspirées de Wilhelm Reich, de son successeur Alexander Lowen et des exercices de Masters et Johnson. Tout en enseignant ces habiletés au client (patient), l’intervenant agit aussi sur le mental, car celui-ci influence évidemment le corps selon le principe de réciprocité du Mens sana in corpore sano.

Si l’approche sexocorporelle s’est rapidement répandue dans les milieux sexologiques, c’est qu’elle était la première proposée et, aussi et surtout, parce qu’elle donnait des résultats positifs rapidement pour le traitement des dysfonctions corporelles et des moyens pour l’épanouissement sexuel des hommes, des femmes et des couples.

L’école sexoanalytique
Cofondateur du Département de sexologie de l’UQAM, le criminologue-sexologue Claude Crépault, influencé par les travaux de Robert Stoller sur l’origine de l’identité sexuelle,s’est lentement distancié de Desjardins. Il trouvait simpliste l’idée de limiter les difficultés d’ordre sexuel à des erreurs d’apprentissages et à des croyances ou à des pensées négatives. Pour lui, l’approche sexocorporelle pouvait être utile dans le traitement des dysfonctions, mais peu efficace dans le domaine des désordres sexuels, comme la pédophilie et la délinquance sexuelle.

Claude Crépault considère :

« La sexualité comme étant essentiellement un construit psychique. Cela signifie, entre autres, que la force de la libido et les directions qu’elle prend dépendent principalement de leurs significations intrapsychiques. Une prépondérance du psychique sur le biologique et le social est ainsi accordée. »

Pour lui, il est de première importance, comme en psychanalyse classique, de comprendre les difficultés d’orientation ou de fonctionnement sexuel par rapport à l’histoire sexuelle et aux traumas vécus lors de l’enfance pour amener un changement thérapeutique. Il en est ainsi arrivé à proposer une nouvelle théorie du développement sexuel avec l’hypothèse de la protoféminité. Il a aussi défini cinq critères de maturité sexuelle :

1. l’investissement de la spécificité sexuelle ;
2. l’intégration des composantes masculines et féminines ;
3. l’investissement de la complémentarité sexuelle ;
4. l’intégration des érotismes fusionnel et antifusionnel ;
5. la prédominance de la fonction complétive sur la fonction défensive.

La sexoanalyse vise aussi la sexualité fonctionnelle et épanouie. Mais au lieu de travailler sur le corps, Crépault préfère l’analyse des fantasmes érogènes et antiérogènes, ainsi que leurs bénéfices secondaires et leurs réactions anxiogènes. Le traitement sexoanalytique se fait par le rétablissement d’un imaginaire érotique conforme à la réalité et la disparition des anxiétés, source de blocages fonctionnels. Le travail sexoanalytique s’étend sur une série de 25 à 125 rencontres individuelles, une à deux fois par semaine.

L’école psychosexuelle
De nombreux psychologues se sont formés à la sexologie et se présentent comme psychologue-sexologue. Vous en trouverez quelques dizaines sur Internet. Il existe même une école de formation en psycho-sexologie offrant un diplôme de conseiller en psycho-sexologie et un diplôme de psycho-sexologue praticien. La formation y semble plutôt axée sur la sexologie que la psychologie.

Nulle part nous n’avons toutefois trouvé une définition ou une présentation satisfaisante de la psycho-sexologie. Le concept est nouveau, mais que recouvre-t-il comme réalité concrète ? Quels sont les prémisses et les objectifs de la psycho-sexologie ? Quels sont ses champs d’application et ses méthodes ? Nous allons chercher à répondre à ces questions et ainsi proposer un nouveau modèle d’intervention.

Mais auparavant, faisons un petit détour sur l’évolution des thérapies psychologiques qui possèdent, elles, plus de 250 écoles de pensées. Cette évolution a vécu trois vagues ou générations. La première vague stipule qu’il faut remonter à l’origine du problème pour pouvoir s’en libérer et créer un meilleur présent et un meilleur avenir. La psychanalyse illustre bien cette première génération de thérapeutes pour qui « tout se joue pendant l’enfance ». Si les traumas de l’enfance ne sont pas résolus, il y a un risque de répéter ad nauseam les scénarios originels. C’est une approche à long terme, axée sur les pathologies et où les clients (patients) reçoivent des étiquettes négatives (névroses et psychoses).

La deuxième vague s’est développée en Amérique du Nord pendant les années 1950 et 1960. L’approche systémique résume bien cette deuxième génération de thérapeutes. Pour eux, peu importe l’origine des problèmes, ceux-ci sont entretenus dans le présent sous forme de cercles vicieux appelés aussi interactions dysfonctionnelles (exemple de la dynamique dépendance/contredépendance). On ne peut guérir le passé, mais on peut modifier le présent et le futur.

Cette approche non pathologique et responsabilisante donne de bons résultats, mais à court terme. Les clients (patients) y sont considérés comme des humains ayant des problèmes humains. Le thérapeute intervient pour interrompre les cercles vicieux en modifiant les comportements. Si, par exemple, le dépendant cesse de courir après le contredépendant, ce dernier cessera peut-être de fuir. Cette approche se concentre sur ce qui se passe au moment présent.

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Sexothérapie, Praticienne en Hypnose Thérapeutique, Thérapeute EMDR IMO à Paris, Assistante de… En savoir plus sur cet auteur
Rédigé le Samedi 16 Décembre 2023 à 21:28 | Lu 46 fois
Tags : Sexologie
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